Annick Le Thoër

PEINTURES

Ferran Cremades i Arlandis

I.   CE JARDIN INCONNu

I

  

Il n’y a ni portes ni fenêtres qui puissent encadrer la peinture. La marée incessante du temps ne connaît pas de frontières. Tandis que le vent fait tourbillonner les faisceaux d’ocres nous écoutons le silence. A l’horizon il y a un chemin ouvert qui rapidement se perd. Tu ne vois aucun arbre secouant ses branches mais tu sais que le bois est là qui t’attend depuis le début du monde. Les couches d’écorce parlent des années passées et des pièges tendus pour les rêves.

Ii

La vie est inhospitalière au ras de la terre. Tu as beau essayer d’escalader la cime, toujours tu tombes dans un filet fait, au pinceau, de touches subtiles et évanescentes qui vibrent dans le vide. Il n’y a pas d’écho. La musique s’élabore à partir de murmures, de rumeurs, de respirations aiguës qui évoquent des absences et de lointaines houles. Lorsque tu arrives à te convaincre de ce que la lumière naît de l’intérieur de l’âme, tu te vois surpris et enveloppé par l’événement sordide qui a lieu de l’autre côté de la rue.

Iii

Les vibrations de l’écriture nous parlent de formes dépouillées de toute référence objectale. La suspicion de la métaphore est exclue devant une trame faite de mirages. Les couleurs nous renvoient à des paysages impossibles mais il suffit de fermer les yeux pour reconnaître que nous les avons vus dans quelque endroit du monde, au-delà de ceux de la Bretagne où est né le lyrisme abstrait. Si nous aspirons profondément nous pouvons même percevoir le parfum de l’imaginaire.

Iv

La toile est faite d’un mur plat et aveugle où se reflète la lumière comme sur un miroir. Pendant un instant nous croyons voir le visage de notre âme mais rapidement nous nous engageons dans les avenues et les rues de la ville et nous nous trouvons attrapés par des événements. Malgré toutes nos tentatives nous ne pouvons pas nous libérer de ce qui s’est passé et de ce qui continuera à se passer. Le jeu sur la scène est éternel. Les bleus grattent comme des ongles affilés les roches qui couvrent la terre hermétique.

v

La persistance du geste trace des pirouettes abstraites qui évoquent l’intensité du vécu. Un regard équivaut à un éblouissement. Ce que tu vois aujourd’hui n’est plus là demain. Jamais tu ne l’as vu. Les fils de lumière tissent une identité sans équivoque. La voix de la volonté s’impose à l’éclat du désir. La calligraphie de lumières et d’ombres nous parle de stades mentaux et de cycles. Nous jouissons de la vision du miroir mais ignorons si c’est l’automne ou le printemps.

vi

L’horizon se transforme en un piège. Tu poursuis la perspective, la forme et le signe mais tu ne trouves que la chimère du temps. Tout à coup le mur aveugle se brise laissant le passage à un horizon fait d’un brouillard éphémère. La lumière est dans la touche et simule la création d’espaces inconcevables. Ce n’est qu’en sortant dans la rue que nous nous rendons compte de ce qu’ils nous sont aussi familiers que les chambres de l’immeuble se trouvant face à l’endroit où nous habitons. C’est pour cela que nous envahit la certitude de nous trouver encore dans l’atelier.

Annik le Thoer - 09
Annik le Thoer - 10

vii

Le geste est aussi précis qu’insistant. Les couleurs sont aujourd’hui des éléments de création et demain des passions occultes. Tu glisses sur la peur qu’impose la tempête qui approche pour tomber en chute libre dans la région secrète de la mémoire. L’atmosphère que crée la trame nous annonce le retour à la terre primitive. Sa lumière est aussi proche de la vie quotidienne que de la recherche de l’absolu. Tout disparaît pour toujours comme si rien n’avait jamais existé.

Ferran Cremades i Arlandis.
Paris, Eté 1998
  (Trad. de l’espagnol par Bernard Sicot)

II. LA CALLIGRAPHIE DE LA MEMOIRE

I

Que se passe-t-il quand tout est fini ? Que se passe-t-il lorsque la peintre donne le dernier coup de pinceau et que la lumière de la mémoire s’éteint ? Bientôt tout disparaît et le temps s’arrête. Chaque peinture est le goût d’un fruit qui nous rappelle des moments d’amour et de chagrin. La nuit, on écoute une chanson qu’on a déjà entendue dans le passé mais qui sonne maintenant comme si elle venait d’émerger d’un océan lointain. On regarde le monde comme si rien de tout ce qu’on a vécu ne s’était passé. Les sentiments se confondent avec les sensations amères.

II

La calligraphie de la mémoire jaillit comme une source et coule aussi vive qu’un fleuve. Chaque peinture devient un éclat d’ombres qui efface les silhouettes de notre vécu. Les couleurs deviennent une musique imperceptible qui remue nos cœurs. L’avenir fait pousser les fleurs de ce jardin inconnu où une étrange lumière entoure l’inattendu. On ne sait pas s’il s’agit de l’architecture d’une ville perdue dans le temps, ou de la surface d’un désert imaginaire. Parfois on se perd dans l’espace d’une forêt luxuriante. Il y a eu des rêves accomplis et des désirs qui ont été dépouillés.

III

Le temps est sans-cœur et nous penche vers terre pour nous faire mordre la poussière. Le silence se fait entendre au milieu de la nuit. Cette lumière clignotante qui nous éblouit appartient à des lieux privilégiés où nous avons séjourné. Chaque peinture devient une empreinte indélébile dans ce jardin inconnu. Les yeux fermés, on marche dans une brume à la recherche d’un port sûr. Les majestueux navires qui voguent au loin disparaissent à l’infini. Dans ces navires sont partis tous nos amours vécus. La calligraphie de la mémoire est le journal de bord d’un long voyage.

Ferran Cremades i Arlandis.
Cité Jardin AUSIAS MARCH,
Janvier 2023

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