Marie C.
Au bord de l’infini
Ferran Cremades i Arlandis
L’architecture de l’océan
La voix de la mer c’est comme le chant des sirènes. Jour après jour son appel ne cesse de chuchoter aux oreilles de la peintre pour la séduire. C’est une invitation à se plonger dans les abîmes de sa profondeur, et à se perdre dans le labyrinthe de son âme. On est seul et on voit l’océan plein de bateaux qui flottent sur de grosses vagues lumineuses pour disparaître dans la brume de la vérité absolue. Il y a dans le mouvement des vagues des ombres propices à l’amour et à la trahison. On écoute des vents assourdissants qui se perdent dans un ciel nuageux. Dans l’océan la voix sonne comme une vague adoucie qui n’arrive pas à se plier. Tout reste quiet et foncé comme une forêt d’ombres.
À l’aube on voit le mouvement des nuages et on respire les parfums de l’océan. On écoute les oiseaux. Les mouettes survolent le rivage. L’albatros ne se repose jamais de son vol et se montre comme une âme déchirée entre le désir de voler plus loin et la frayeur de chuter au fond de l’océan. La peintre éprouve une émotion jamais perçue auparavant qui bientôt deviendra un sentiment aussi abstrait qu’inépuisable. Elle vient de découvrir un nouvel univers dans sa vie. Elle perçoit une lumière qui entoure toute sa figure. Lorsqu’elle ouvre la fenêtre du salon, elle entend au loin un bruissement de vagues qui la bercent dans un sommeil profond. Chaque tableau est un voyage aussi souhaité qu’inconnu.
Sur la surface de l’océan, les mirages se reflètent et deviennent des précipices, des vents qui hurlent comme des loups, des pluies qui nous offrent toutes sortes de fruits aussi savoureux qu’interdits. On ne pense à rien. On ne sait pas si des étoiles qui brillent dans le ciel sont signes de bons ou de mauvais présages. La vie est une suite de départs qui nous mènent vers des îles incroyables ou vers des falaises vertigineuses. Les yeux cherchent en vain l’image de l’éternité en même temps qu’ils sont aveuglés par l’écume du rivage. Les pieds nus laissent derrière eux une musique intrigante de pas. Chaque jour, la peintre a besoin de marcher au bord de l’océan pour arriver vers l’infini.
L’Océan devient une toile de verre polie et métallisée qui réfléchit des couleurs argentées, noires et gris lumineux. Parfois, pour apprendre à se connaître, il faut regarder de l’autre côté du miroir. C’est le même que de se plonger aux abîmes où habitent l’ambre, le corail et le diamant. Chaque plongée est une recherche et une découverte de nos richesses intimes et de secrets incroyables. Une fois descendue la marée, on découvre des grands rochers noirs entre l’écume de la mer calme qui nous berce avec des murmures mélancoliques. On voit dans le miroir nacré de l’Océan, la mer vierge et la mer sauvage. Les nuits de pleine lune, le ciel se regarde dans le miroir de l’Océan pour dévorer l’ombre faite des gris bleuités ou argentés, des rouges cerise ou des rouges rubis, des noirs de jais ou des verts brillant comme des émeraudes.
Dans les peintures de Marie C. on voit l’éclat de tout un univers imaginaire qui atteindra bientôt nos cœurs. Un éveil de la couleur orange ou rougeâtre semi-foncée qui est basée sur une altération de l’humeur. Un état d’esprit qui devient un instrument de perception de la réalité, peut-être produite par une plaie qui est rouverte. Une lumière mystérieuse enveloppe une source de la couleur du sang déjà séché et craquelé. Les touches de pinceaux fendent les ombres de la couleur de fer rouillé. On peut imaginer des éclats de fleurs ou des champs débordant de semailles ou de récoltes. Le blanc de la toile peut devenir un mur qui cache l’infini, mais aussi un horizon de lumière qui dévoile des paysages invisibles. Plus au-delà de la colline, on écoute le silence d’un vent qui crée des ondes imperceptibles dans un lac gris. Le silence est si profond qu’on entend les vagues se briser sur le rivage à la tombée de la nuit. Quand la peintre dort, elle a encore les couleurs de l’océan dans ses yeux.
La découverte de la lumière
Dans les tableaux, l’artiste ne se trouve pas soumise à la dimension horizontale qui lui permet de révéler les limites de la pensée. Non plus à la dimension verticale qui témoigne d’un ciel aussi loin qu’inaccessible. L’artiste nous raconte qu’elle est venue à l’océan de la peinture, où elle se sent libre, où plus rien n’existe. Elle a débuté la peinture par hasard. Un jour, elle a voulu finir un tableau inachevé de son mari. Après son réveil, elle découvre une lumière qui lui parlait d’une harmonie impénétrable. Pour la peintre le tableau révéla le visage d’un temps de douleur. Une fois la toile finie elle fut soulagée. Elle a senti une sorte de libération. Le visage d’un temps a été brûlé et a disparu. C’est parti depuis longtemps, elle murmure. Sa vie avec ce visage-là n’était pas facile, car elle n’existait pas à ses yeux.
Depuis, la peinture est devenue une passion, un besoin viscéral et elle n’a pu s’arrêter. C’est un moment qui lui appartient où elle sent que personne n’exerce aucun pouvoir sur elle. Au début elle a eu du mal à s’exprimer, mais ensuite elle a compris qu’elle avait besoin de peindre comme elle avait besoin de respirer au bord de l’océan. « Je suis enfin moi », a-t-elle chuchoté. La peintre se souvient de ce jour-là où un feu de lumière a aveuglé ses yeux et pendant un moment elle a été éblouie au milieu d’un silence assourdissant qui a éveillé son potentiel intérieur. L’océan était devenu un lieu sacré dont la contemplation faisait frissonner son âme. La peinture a été une délivrance, une renaissance.
Chaque jour, elle tourne son regard vers la mer pour entendre le bruit des vagues. Il n’y a pas de ponts dans l’océan. Juste l’artiste et l’eau profonde. Son cœur bat sous le regard de la lune qui se cache derrière les nuages quand un coup de foudre fend le ciel d’un long zigzag clair. Chaque vague est une danse convulsive qui va et vient au milieu d’un tonnerre qui commence à rugir. La peintre ferme ses paupières, elle ne voit que des ombres. L’écho de sa voix s’estompe contre la falaise, personne ne répond. Le vol d’une mouette s’éloigne de la tempête. Il y a des jours où l’océan est une mer d’huile, mais d’autres jours elle semble aussi profonde qu’une falaise. Chaque jour la peintre marche sur le rivage, pieds nus, pour arriver jusqu’à cette structure de la tour où les sauveteurs surveillent les baigneurs. Parfois elle observe le coucher du soleil et tombe un instant dans un état mystique.
La plus belle douceur c’est de peindre ce qu’elle aime. L’artiste offre toute sa sensibilité et la maîtrise de son métier à l’Océan. Elle se sent heureuse comme l’enfant qui pense contenir la mer dans la paume de sa main. Rien n’est rigide dans ses tableaux. Parfois on sent le sel de la mer. Rien n’est aussi vrai que la lumière qui entoure chacune de ses toiles. La peintre nous révèle des zones sombres, avec des rouges aussi ténébreux que mystérieux qui nous offrent des rêves éblouissants. Ses Océans sont peints avec la même intensité qu’un paysage. Partout on entend le vent qu’on ne voit jamais dans la vie.
Chaque tableau est une rivière qui poussé de l’âme
Et va déboucher à l’océan de l’art
Des paysages inconnus
Les tableaux de Marie C. sont des univers fermés et uniques. Des surfaces achevées. Dans l’architecture des formes et des couleurs il n’y a pas de descriptions, de représentations ou de significations. À l’intérieur on découvre une grande harmonie dans le jeu de la lumière et le mouvement des formes qui peuvent passer d’un état fluide à un autre, toujours dans un milieu en mutation. Comme des nuages qui se condensent pour se dissoudre ensuite, les formes ne restent jamais sans mouvements. Un feu attise les flammes d’une façon permanente dans une nature qui nous offre des horizons impérissables. Chaque tableau est un univers clos, un paysage inconnu, fait de rêves, de la lueur de l’instinct et de désirs cachés.
Les formes sont des créations d’une lumière liquide et mystérieuse qui élimine toute sensation de gravité et qui enveloppe la toile pour devenir un univers en soi. Chaque tableau est un océan inconnu qui parfois s’ouvre vers le rivage du réel pour se cacher sur-le-champ dans les yeux de ceux qui la regardent. C’est le voile de la lumière qui leur donne une apparence d’apesanteur ou une sensation de vertige. Ainsi les formes, même gonflées par la tempête de couleurs, semblent immobiles. Les formes sont pesantes et légères, froides et chaudes, humides et sèches. Comme des astres dans un univers imaginaire, dont l’harmonie est fruit de discordances. On ne voit jamais le miroir de la nature, parce que les formes ne répondent pas aux paysages découverts ou contemplés tout au long de notre vie.
La peinture de Marie C. ne nous montre pas toutes ses formes à partir d’un moule uniforme. Chaque vague de l’océan a une forme définie et une lumière particulière. La peintre est fière de la variété de ses créations. Il y a des formes plus grandes, des formes plus calmes, des formes plus déchirantes, des formes plus glissantes, des formes aveuglées par une lumière éclatante, des formes qui restent dans le noir de la nuit.
Les formes sont comme des astres qui s’allument subitement et qui nous révèlent la beauté d’une nature cachée dans notre intérieur. D’abord toute forme est un fil qui tisse une trame plus épaisse, qui reste déjà comme un élément représentatif et en même temps fugace de la peinture. Si on voit plusieurs fois un même tableau on découvre que les formes ne subsistent pas longtemps, on peut les modifier avec notre pensée. Elles sont des formes qui habitent dans l’air d’une abstraction et qui ne demeurent jamais les mêmes. Tout est liquide comme les eaux de l’océan. Comme le vent du monde qu’on habite.
Le miroir de la plénitude
La peintre regarde les vagues déferler, c’est juste l’égard qui rejoint le bleu du vent. Sur la grande toile, la peintre écrit des empreintes peut-être oubliées dans le temps. Ce qui n’était qu’une toile blanche s’enrichit d’une vision sublime. Ce moment, pris avec les yeux de l’âme, devient une éternité. Le temps a dévoré le coucher du soleil et la splendeur de la lumière s’est transformée en un miroir sombre. La peintre n’arrive pas à regarder son visage reflété. Tout est étrange. Elle a du mal à rentrer dans l’espace de la réalité. Dans la toile, l’esprit lutte contre le temps et l’espace tandis que la nuit vole la lumière à ses yeux.
Tous les tableaux ne sont plus que l’aboutissement des harmonies dans le vide du blanc et le silence de la nuit. On n’observe la vérité que quand les yeux poussent un cri d’émerveillement. Les tableaux nous interrogent et réveillent des émotions qui étaient cachées dans le plus profond de notre âme. On sent quelques tremblements inconnus, car on voit la frayeur semée partout. Dans notre nature on trouve le sens d’admirer tout ce qu’on a créé à partir de nos mains et de nos pensées. Un sens qui avec le temps devient tout un langage et nous révèle si nous sommes en présence d’une étoile prodigieuse ou d’une étoile filante.
Tout ce qui est écrit sur la toile habite en dehors du temps et de l’espace où l’absence de pesanteur se fait sentir. Chaque tableau est un geste de recherche. La peintre se rencontre avec le regard de l’autre. Dans cet instant, la réalité s’éclipse et se couvre d’ombres. Les touches du pinceau nous montrent notre côté obscur. On voit un ciel plein d’étoiles qui sont éteintes depuis le jour de notre naissance. Les couleurs minérales de la terre se mélangent aux couleurs de l’océan. Le bleu est plus lumineux ou plus foncé avec le pas du temps. Plus fort que la pensée c’est le geste qui agrandit tout. Le regard du quotidien se plonge dans un océan inconnu.
Les tableaux sont une harmonie de constellations sur la voûte immense qu’est la toile. Tous les visages sont tournés vers la peinture céleste ou astrale. On attend toujours que quelque chose de mystérieux se produise. Mais on ne voit qu’une éclipse, un vide, un silence. Même l’Océan reste muet. Les vagues sont devenues coups de pinceau sombres. Il y a des flots qui jettent des plaintes lumineuses. Il y a des flots qui susurrent des silences impénétrables. Chaque flot nous apporte une image de l’immensité de la mer. Les vagues qui se brisent sur la falaise ne sont que des rêves. Seulement quand on respire l’air subtil de l’Océan on flotte au milieu d’un air subtil qui a une puissance qu’on ne peut pas toucher. Et à ce moment-là on sent la plénitude.
© Ferran Cremades
Cité Jardin AUSIAS MARCH, Avril 2021