Isabelle Boucher

LA DANSEUSE

Ferran Cremades i Arlandis

Avec fierté LA DANSEUSE montre la nudité de son corps. Lorsqu’elle se regarde dans le miroir, elle voit reflétée la beauté de son âme. Dans ses formes sensuelles émerge une musculature caractéristique de sa passion invincible. Excessives sont aussi ses seins. Un oiseau migrateur condamné à survoler le ciel ou une gazelle qui n’a jamais quitté les oasis sont enfermés dans son corps. Le balancement des bras suit celui des jambes dans une sortie impétueuse qui célèbre les voix cachées des spectateurs qui se trouvent au bord de la piste. La route à parcourir est pleine d’obstacles. Il y a des jours qu’elle doit passer sous les branches des arbres luxuriants qui cachent la lumière du soleil et des jours qu’elle doit glisser sur l’herbe qui pousse dans une vallée abandonnée.

Les bras et les jambes de LA DANSEUSE, en oscillation permanente, sont tendus comme des arcs toujours prêts à tirer leurs flèches aussi précises qu’invisibles. La forêt d’ombres pétrifiées ouvre la voie à un lac où se reflète le bleu d’un horizon infini. C’est pourquoi elle sait que la fin de la course est proche. Un jour de plus, elle a atteint un amour qui semblait impossible. Comme l’un de ces sommets qui se perdent dans le ciel. À cause de la sueur qui irrite ses yeux, LA DANSEUSE peut à peine voir tous ces corps qui la désirent et l’encouragent. Ils ne sont que des ombres. Quelqu’un lui offre la bouteille d’une boisson connue dans le monde. Et puis, elle n’hésite pas à pencher la tête en arrière pour étancher sa soif. Plus elle boit, plus elle a soif. Elle boit comme s’il n’y avait plus d’eau dans le monde entier. Les yeux fermés et le corps dégoulinant de sueur, elle rêve de chacun de ces amours qu’il a laissés sur la route.

Dans l’intimité de la pièce qui fait office de loge, le corps de LA DANSEUSE montre la sensation profonde d’un trouble au moment du maquillage. Elle a l’impression que la vie ressemble à un film. Dans ses yeux brillent de petites étoiles qui rêvent d’atteindre la gloire. Tout au long de sa vie, LA DANSEUSE a joué sur de grandes scènes et a exécuté des œuvres de danse classique et moderne. Le dos au monde, elle montre son corps créé par une lumière diaphane qui éblouit le public. C’est comme une deuxième peau. La scène du Strip Club, d’une couleur aussi blanche que froide, a la forme d’un cercle. Lorsque les lumières s’allument, elle se tourne vers le public pour montrer un physique très séduisant, qui frôle l’hypnose. 

Aujourd’hui, elle danse que pour les hommes. Elle est une danseuse experte dans la danse de l’amour. Elle connaît les regards de la séduction et le voile de la simulation. Dans sa danse sans limites autour d’une barre de striptease elle montre un déshabillage lent, sensuel et suggestif. Elle ne veut pas se montrer toute nue. Jamais. C’est LA DANSEUSE plus connue de la ville. Le désir refoulé pousse le spectateur vers la possession du trésor caché dans le corps de LA DANSEUSE. Quand il commence à se tourner de côté à l’autre sur soi-même, elle semble se déshabiller. Dans sa bouche, elle cache la langue du cobra qui bouge et s’agite en chassant les mauvais esprits et en libérant les liens d’inhibitions.

L’interdit devient soudain en joie et les visages des spectateurs s’évanouirent dans des regards de folie. Au fil du temps, elle est devenue une danseuse avertie dans la danse de l’amour et de la séduction. Sa figure ressemble à une déesse oubliée dans la mémoire. Une danseuse impudique, lascive et cruelle comme la mythique Salomé. Ce manque de traits du visage qui fait allusion au contour de ses yeux et de sa bouche, nous précipite dans l’abîme. Tout dans son corps est devenu sexe. Les lumières clignotent dans le cercle de la scène. Les formes de désir flottent et les corps suivent les mouvements de LA DANSEUSE qui se déplace comme un serpent qui glisse maintenant le long de la barre. D’un coup, son corps est un tourbillon de lumière qui monte et s’emmêle dans des illusions d’optique et de musique jusqu’à arriver au sommet du désir et de la possession. Avec son sourire coquin aux lèvres, elle devient un objet de désir. Tout son corps a été transformé en sexe. 

Les visages des hommes deviennent masques qui passent d’un état d’attente à une anxiété débordante qui révèle la bestialité de la chair. Juste des gestes et des gémissements qui se perdent dans le silence de la nuit. Au- delà des grandes fenêtres, la ville est déserte. Seul un éclat est perçu et reconnu, comme l’effet d’un désir aussi débordant que creux. Bien qu’à une certaine époque LA DANSEUSE ait apprécié ces danses érotiques qui l’ont aidé à libérer le corps et à faire tomber les barrières de la pudeur et les interdits, maintenant elle sent la solitude de l’âme. Finalement, elle reste seule dans l’intimité de la pièce qui fait office de loge. Elle respire toute bouleversée. Comme si elle soupirait de peur. Comme si elle gémissait de douleur. 

Le dos au monde, le corps de LA DANSEUSE nous montre une lumière opaque qui nous aveugle. Certains disent que c’est un accident qui l’a éloignée des grands théâtres de l’opéra. D’autres disent qu’elle n’a pas pu surmonter la douleur lorsque la flamme d’une histoire d’amour s’est éteinte. Dans la rue on dit que c’est l’alcool qui a gagné la bataille. Deux étoiles filantes glissent de ses yeux pour devenir deux larmes. 

Ferran Cremades i Arlandis.
Cité Jardin AUSIAS MARCH,
Février 2020

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