Rose Bracke
INTÉRIEUR BLEU
Ferran Cremades i Arlandis
INTÉRIEUR BLEU
I
Un bruit assourdissant se fait entendre. Peut-être le vent a fermé la porte de l’atelier. L’ombre dévore la lumière. La montagne et la mer ont disparu. On sent le parfum d’une fleur inconnue qui allume le cœur.
Brusquement on entend le grincement d’une porte qui s’ouvre sur la beauté d’un monde intérieur. Une porte qui était là dès le jour de notre naissance et que l’on n’avait jamais découverte.
C’est l’âme qui guérit toutes nos blessures. On habite un temps de déchirures et d’architectures anciennes qui s’effondrent. Le bleu et le noir permettent d’exprimer des sentiments logés dans nos âmes.
Ce sont des couleurs qui rendent visibles l’invisible. Nos pensées se nourrissent des matières avec lesquelles on dessine l’architecture intérieure de nos rêves.
L’artiste a donné un coup de pinceau rugueux. On voit dans la toile une tache bleue. Une blessure qui au fil du temps deviendra une empreinte.
II
L’artiste garde dans son cœur l’empreinte du père, son rêve de peindre la lumière. Les souvenirs de son enfance sont couverts de grandes peintures abstraites colorées.
Si son désir allait vers l’architecture, c’est finalement sur les traces de son père, artiste peintre, qu’elle s’est aventurée.
Plus tard, la peinture de Cézanne l’a profondément bouleversée. Des taches de couleurs organisent l’ombre et la lumière pour faire surgir une forme, une pomme, un visage, un paysage.
Dans sa peinture, elle apprend à se lancer dans l’inconnu. À accueillir ce qui surgit. Dans les tracés, on perçoit parfois le battement du cœur. Les traits les plus fragiles nous éloignent de la maîtrise, en même temps qu’ils nous rapprochent de la beauté.
La lumière du coucher du soleil a plongé trop tôt dans l’horizon. Il y a un brouillard bleu noir. Les rêves voguent sur une mer sombre et sans flots, aussi muette qu’impénétrable.
III
Après quelques années de peinture à l’huile, l’artiste a ressenti le besoin de rechercher d’autres outils que les brosses et les pinceaux.
La passion pour le monotype a induit une nouvelle appréhension de l’espace, un autre rythme, d’autres gestes. Le travail de l’encre lui a permis de découvrir la lumière intrinsèque au noir.
Sur la surface blanche du papier, l’artiste construit une architecture avec des zones d’ombre et de lumière. Un espace appelé Intérieur Bleu. L’artiste renoue ainsi avec son désir ancien de devenir architecte.
L’âme de celui qui peint et l’âme de celui qui regarde le tableau convergent dans l’Intérieur Bleu. Une rencontre fortuite qui deviendra une révélation. Seuls les regards en quête de silence se remplissent d’une lumière qui efface la surface et cache la profondeur.
Le miroir du ciel devient un mirage. Le tableau se nourrit et grandit avec le regard de l’autre. Il y a dans le noir une lumière éblouissante qui n’appartient pas à ce monde.
IV
Tous les jours, l’artiste aspire à se retrouver dans son atelier. Une maison ancienne dans la montagne avec vue sur la mer. Par la fenêtre de son atelier, l’artiste regarde les lumières et les ombres qui se répandent partout et deviennent touches de couleur.
À la tombée de la nuit, elle aperçoit le ciel comme une toile bleue foncée, presque noire. Le temps s’est arrêté. Elle commence à peindre ses tableaux à l’aube, lorsqu’elle brise la surface étincelante de la mer.
Plonger dans l’Intérieur Bleu c’est disparaître dans l’infini, où le temps et l’espace n’ont pas de place. Des volumes perdent leur gravité et des rythmes deviennent des flottements imperceptibles.
On ressent alors une intrigue insoupçonnée. C’est une recherche qui ne se termine qu’avec le dernier geste. La dernière empreinte d’un long chemin.
NO WORDS
On n’écrit pas seulement avec des mots. On écrit avec le souffle de notre bouche à la surface d’un lac imaginaire à la tombée de la nuit. Ou avec le souffle de notre bouche à la surface d’un écran pour révéler le visage de notre être bien-aimé. On n’écrit pas seulement avec des mots. On écrit avec nos mains caressant une pomme avant de la mordre. Ou avec nos doigts grattant l’écorce de la nuit pour trouver une boule de lumière. On n’écrit pas seulement avec des mots. On écrit avec les pieds nus en marchant le long du rivage d’une mer sombre. Ou avec les yeux apercevant un horizon qui devient infini. On n’écrit pas seulement avec des mots. Dès le jour privilégié de notre naissance, on écrit avec les battements de notre cœur. Les jours de joie et d’émerveillement et les jours d’épreuves insurmontables on écrit avec le silence.
ON THE SURFACE
Sur la surface de la toile, la lumière tisse une trame d’empreintes invisibles et de silence, un chevauchement de paysages déjà effacés de la mémoire, un mouvement imperceptible de portes qui s’ouvrent et se ferment, un regard de visages voilés qui cachent la profondeur d’une vérité non révélée.
Ferran CREMADES I ARLANDIS.
Cité Jardin AUSIAS MARCH, Printemps 2021